Emmanuelle Jude

Emmanuelle JUDE (1970, vit et travaille à Banyuls-sur-Mer)

Site: http://emmanuelle-jude.com/

« Dans un très bel article de Christophe Granger Comment l’été vint aux corps[1] , l’historien indique que la saison estivale, comme période sensible et sensuelle telle que nous la connaissons, est assez récente. D’une conception hygiéniste du XIXͤ siècle à la démocratisation du temps libre et des vacances autorisées car rémunérées grâce au front populaire, l’été et les stations balnéaires sont devenus un espace-temps, où les gens se regroupent en masse. L’entrée dans le vingt-et-unième siècle ne changera rien à l’attrait que constitue le littoral, la chaleur, l’eau. L’été reste très attendu.

La série « Point d’eau » d’Emmanuelle Jude convoque la figure du touriste en été, à Collioure, qui selon elle, incarne l’offre de la société moderne consumériste. De façon massive, à cette période de l’année, nous nous précipitons sur les grèves, et alimentons l’expression « noir de monde ». Dans ce travail, Emmanuelle Jude ne peint cette densité, ce carambolage corporel. Aucune multitude, ni d’affluence n’est esquissée. Face à ces portraits en pied, nous notons la primauté des modèles.

La seule présence d’un corps interroge. Une tension naît. Un corps simple, à demi-nu. L’instant peint et scruté est celui du post. Notre temps contemporain coule toujours plus en avant, apportant avec lui une impression de célérité. Il enjoint à nous interroger, toujours plus, à propos de l’instant suivant, le post devient notre moment contemporain. Ce préfixe actuel, thématise cette série « Point d’eau » ; la douche se présente comme le passage de la « post-baignade ». Un temps intime et personnel. Placés devant des paysages géométriques, aux formes et aux couleurs harmonieuses, l’unicité du tableau apparaît. La douche comme enjeu central, devient sacrée, ritualisée. Loin de prendre la pose, ces corps s’animent, se frottent, s’appliquent, se rincent. La douche purifie, elle demeure lustrale. Débarrassé du sel, de la chaleur, du sable, des autres, le mouvement se concentre sur le sujet même. Le mouvement synonyme de vie permet, dans cette exposition, d’asseoir l’idée que l’Homme n’est pas uniquement acteur face à un paysage ; bien au contraire, le « doucheur » n’est doucheur que dans le contexte d’un paysage balnéaire. Cette figure est profondément corrélée au paysage estival marin. Alors que le fond paysager semble vide, par un retournement intéressant celui-ci construit ces identités de « Point d’eau ». Non seulement, ce paysage compose les silhouettes mais il fabrique aussi ses habitus. Cette douche-ci, par sa temporalité, par son lieu, et par ses personnages, confronte bien à la présence de l’Humanité et des relations qu’elle tisse avec un territoire donné. Si les mouvements se ressemblent, formant une sorte de communion, un signe autonomise cependant les gens représentés.

Le prénom de ces personnes déjoue la tentative de la société post-moderne, dont le sujet aurait été exilé du récit, de la narration, de sa vie. La société de consommation rend anonyme les individus, uniformisant le groupe, homogénéisant ses possibilités. Les prénoms soulignant les oeuvres, permettent de glisser du corps à la personne. L’anthropologue français, David Lebreton nous rappelle que ‘l’on oublie souvent l’absurdité qu’il y a à nommer le corps à la manière d’un fétiche, c’est-
à- dire en omettant l’homme qu’il incarne. Il faut dire l’ambiguïté d’évoquer la notion d’un corps qui n’entretient plus que des relations implicites, supposées, avec l’acteur dont il fait pourtant indissolublement corps. […] On n’a jamais vu un corps : on voit des hommes, des femmes.[2]’

Nous voyons ces hommes et ces femmes bâtis par le littoral. Ces touristes peints par Emmanuelle Jude forgent le parangon de l’Homme et du paysage, car au fond, tous les êtres sont tous déterminés par les paysages. Ainsi regarder un paysage et observer les êtres qui y prennent part, c’est affûter la connaissance d’un groupe, d’un savoir en général, et cela permet de prendre la mesure des injonctions, des désirs, des buts qu’une société poursuit sans relâche. » – HSV

[1]
[2]David, Le Breton, Sociologie du corps, Paris, Presses Universitaires de France, 2016, p. 25

Bio

Emmanuelle Fleau-Jude est une peintre, dessinatrice, diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Art de Limoges. Dès l’âge de vingt ans, elle privilégie la rencontre avec les œuvres de Kermarrec, Cueco et Vincent Bioulès. Originaire d’Orléans, Emmanuelle Jude s’installe avec son époux dans le sud de la France en 1995. Elle ne vivra pas à Perpignan comme elle l’envisageait, mais s’établit sur la sinueuse Route des mas, arrière-pays de Banyuls-sur-Mer.

« Le paysage de la vallée est grandiose, Banyuls est un paradis qui épuise mes rêves » dira-t-elle.

L’artiste décide de donner le change au pays ; elle le dévore autant qu’il la dévore. Entre observation et déambulation, elle se métamorphose en marcheuse insolite confrontée aux limites de la Côte Rocheuse. Un lent et complexe périple commence.

Expositions:

  • 2020: Exposition au Musée Hyacinthe Rigaud à Perpignan « L’esprit du lieu »
  • 2019: Exposition à ma Galerie Odile OMS à Céret: « Constats du territoire »
  • 2016 : Exposition à la Galerie Odile OMS à Céret « Un après-midi à Collioure »
  • 2016 : Exposition au Musée d’art moderne de Collioure « Un après-midi à Collioure »
  • 2012 : Exposition Musée d’art moderne de Collioure « Les grands doucheurs »
  • 2010 : Exposition Musée d’art moderne de Collioure « Les doucheurs »
  • 2007 : Exposition à la galerie Tenyidor à Collioure « A l’heure des leurres »
Emmanuelle Jude: Point d’eau (Mady), 2020. Acrylique sur bois. (Avertissement : Le contenu de ce site Internet est protégé par le droit d’auteur. Toute reproduction est interdite. / Warning: The content of this web site is copyrighted. Any reproduction is strictly forbidden.)